Elle s’est battue toute sa vie pour faire progresser la place des femmes dans la société, « une cause juste », nous rappelle-t-elle. Marie-Jo Zimmermann, ancienne députée de Moselle, poursuit son combat et s’entretient, en exclusivité pour les elles du Groupe BPCE, avec sa présidente, Sabine Calba. Un échange qui nous invite à rester vigilant pour ne pas laisser la place au doute et à ne pas oublier qu’un progrès n’est jamais définitif.
Les elles du Groupe BPCE : Pas d’entretien avec Marie-Jo Zimmermann sans parler des quotas de femmes dans les conseils d’administration. Quel bilan tirez-vous dix ans plus tard de la loi qui porte votre nom ?
Marie-Jo Zimmermann : Sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration, on y est, le contrat est rempli, les seuils sont atteints, dépassés même. Ces femmes qu’on disait ne pas pouvoir trouver ont, elles, avec la loi, trouvé mandat. On ne se pose plus la question de leur place dans ce type d’instances. La gouvernance s’en est vue transformée. C’est une grande satisfaction, même s’il demeure cette idée infondée qu’un homme naît administrateur, contrairement à une femme, qui a besoin d’être formée… Preuve qu’il faut continuer et même aller plus loin. Plus de 10 ans ont passé et la propagation espérée aux autres organes de direction n’a pas vraiment eu lieu. C’est l’objet de la loi Rixain, entrée en vigueur en janvier dernier, qui établit des quotas dans les comités de direction et les comités exécutifs. Certes, les mentalités évoluent. La prise de conscience est devenue mauvaise conscience et c’est très bien. Mais elles ne changent pas suffisamment sur l’égalité professionnelle au sens large.
Une nouvelle loi était-elle vraiment nécessaire ?
Marie-Jo Zimmermann : L’histoire de l’évolution des femmes dans la société est toujours passée par des lois. Mais cette nouvelle loi – qui est louable et souhaitable – n’aurait pas lieu d’être si l’article 8 de la loi Zimmermann, qui visait à publier un rapport de la situation de l’égalité hommes/femmes dans l’entreprise chaque année pour alimenter la réflexion dans les conseils, avait été appliqué avec rigueur. S’il l’avait été – ainsi que la loi Génisson de 2001 que cette loi de 2011 visait à conforter – les entreprises auraient commencé depuis longtemps à prévoir les évolutions de carrière des femmes et à les suivre avec des indicateurs, améliorant ainsi au fur et à mesure leur représentation à la tête des entreprises. Sur ce point, Sabine fait figure de rôle modèle, un très bel exemple d’évolution de carrière.
Sabine, vous êtes directrice générale de la Banque Populaire Méditerranée, est-ce qu’on peut dire qu’on a avancé sur la promotion des femmes à des postes de cadres dirigeantes ?
Il y a eu une progression. C’est important de le reconnaître. En 10 ans, la photo a changé. Il ne faut jamais ignorer ce qui a été construit. Dans le Groupe BPCE par exemple, le taux de femmes cadres est passé de 36 % à 45 % en 10 ans (2021), celui des cadres dirigeantes et dirigeantes, de 14 % à 29 %. On a passé un cap, et c’est notamment grâce à l’action de Marie-Jo. Cette loi [Copé-Zimmermann, NDLR] a fait bouger les lignes. Elle n’a pas seulement eu un impact sur les statistiques, elle en a aussi sur les mentalités : elle a changé les regards. Certes, elle n’a pas eu un effet de contagion aussi rapide qu’escompté sur les directions exécutives des entreprises françaises si bien qu’il a été nécessaire de légiférer de nouveau. Mais elle a enclenché un véritable mouvement de fond que la loi Rixain va contribuer à améliorer, à accélérer. Et cette loi sera sans doute encore plus complexe à appliquer pour les codirs et les comex que pour les conseils d’administration, car elle touche au fonctionnement interne de l’entreprise, à la gestion des parcours et des carrières. D’autant qu’il faudra veiller à ce que les femmes ne soient pas sur-représentées dans certaines fonctions et sous-représentées dans d’autres, mais bien à ce qu’elles occupent toutes les fonctions opérationnelles, tous les postes qui permettent d’accéder à la direction d’une entreprise. Cela nécessite de tracer des parcours sur un temps long. Ça se prépare, ça se travaille mais c’est largement possible et accessible.
Peut-on réellement prétendre à une égalité parfaite dans les parcours professionnels alors que les femmes ont ce moment de vie entre 30 et 40 ans où elles deviennent parfois mère avec les responsabilités – pas toujours partagées – qui vont avec ?
Marie-Jo Zimmermann : L’égalité professionnelle est une question de respect de la femme en général. Est-elle moins intelligente ? Est-elle moins capable ? Non. Peut-on dès lors admettre qu’on ne respecte pas quelqu’un qui a les mêmes compétences ? L’entreprise doit s’adapter et tout simplement prendre en considération l’ensemble des paramètres entrant en ligne de compte dans la vie des femmes pour tracer des parcours qui leur correspondent. Elles n’ont pas à être moins formées ou plus facilement écartées sous prétexte de moments d’indisponibilités réels ou supposés. Il faut garder à l’esprit qu’on ne réglera aucune inégalité dans la société sans préalablement traiter le problème de l’égalité entre les sexes. Bien sûr qu’une carrière est facilitée lorsqu’il y a égalité dans le couple. Bien sûr qu’on ne peut pas rentrer dans l’intimité des familles. Mais on peut simplifier la vie des femmes…
Sabine Calba : … et leur montrer que c’est possible ! Rien n’est bloquant tant que les choix sont assumés, pas même la maternité. Le problème de certaines femmes, c’est qu’elles n’osent pas encore suffisamment. Elles n’ont pas la confiance qu’ont les hommes en eux sur leurs capacités à accéder à un poste et à se fixer des objectifs à long terme. Il faut que les femmes réalisent qu’elles ne sont pas là où elles sont par hasard et surtout, il faut qu’elles pensent au coup d’après. Dans la vie, il faut avoir un phare pour continuer à aller plus loin. Tant que les femmes se sentiront dans l’obligation de se justifier, elles ne pourront pas se projeter professionnellement. Chez les jeunes filles, ce manque de confiance en soi est encore extrêmement marqué. Il faut leur apprendre très tôt à ne pas se dévaloriser et à transformer ce doute en une force. Plus les femmes accèderont à des postes à responsabilités, plus elles transmettront à leurs enfants l’idée que tout est envisageable. La démonstration par l’exemple, y compris auprès des nouvelles générations, est sans doute un moyen de lever les inhibitions. Mais l’accélérateur vient aussi de l’éducation.
L’éducation à l’égalité, ça s’apprend…
Marie-Jo Zimmermann : oui, il faut susciter l’envie et lutter contre les biais de genre – ils ont d’ailleurs peut-être déjà évolué. C’est extrêmement important. Il n’est pas normal que des jeunes filles brillantes rejoignent beaucoup moins les filières scientifiques que les garçons sous prétexte qu’elles anticipent qu’elles auront ensuite des difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Il y a un gros travail à faire au niveau de l’éducation. Il faut corriger progressivement cette sous-représentation.
Sabine Calba : Je suis d’accord avec Marie-Jo. Il ne suffit pas de mettre des quotas. Tout le monde doit changer ses modèles et ses schémas de pensée. Les entreprises ne peuvent pas tout, le sujet doit aussi être pris très en amont par l’éducation. Il faut que cela devienne une tendance de société : il faut les faire rêver nos jeunes filles, très jeunes ! C’est notamment la raison pour laquelle 180 femmes membres des elles du Groupe BPCE se sont engagées en tant que marraines auprès de Capital Filles pour accompagner des jeunes filles dans leur orientation professionnelle. Ces mentoring sont particulièrement importants car ils permettent de leur donner confiance, de soutenir leurs ambitions tout en leur montrant que, si leurs marraines y sont arrivées, il n’y a pas de raison qu’elles ne voient pas grand elles aussi pour leurs projets professionnels.
Il faut les rassurer tout en leur expliquant les règles du jeu. Leur apprendre les codes de l’entreprise pour qu’elles puissent ensuite s’épanouir professionnellement en instaurant leurs propres manières de faire dans un milieu qui leur sera désormais familier. Il est fort à parier que tout le monde y gagnera.
Interview réalisée par Anne-Laure Declaye