S’il existe une corrélation positive entre intelligence et simplicité, les Elles du Groupe BPCE l’ont trouvée en Aurélie Jean, Docteur en Sciences et entrepreneure. Entre autres. Car son activité ne s’arrête pas là. De la Bretagne et de Paris, d’où elle est originaire, à la côte est américaine – siège du Massachusetts Institute of Technology ou MIT, où elle enseigne l’algorithmique – Aurélie Jean traverse régulièrement l’Atlantique depuis plus de 10 ans, pour travailler, collaborer, transmettre ses connaissances dans le domaine des sciences numériques, de l’ingénierie, de la médecine, de l’éducation, de l’économie, de la finance ou encore du journalisme. Tout un programme. Et pourtant. Tout juste sollicitée, Aurélie avait déjà répondu à nos questions…
Les Elles du Groupe BPCE : Pouvez-vous retracer rapidement votre parcours et nous dire ce qui vous a poussée à faire de la recherche scientifique ?
Aurélie Jean : J’ai grandi avec les sciences depuis toute petite ; mon grand-père a toujours cultivé ma curiosité. J’ai toujours eu des facilités et une forte appétence pour les maths et la physique. Petite, les sciences me rassuraient, car tout était logique ; elles ne présentaient aucune ambiguïté contrairement aux études de texte en Français par exemple. C’est ma professeure de Physique, le Prof. Lucile Julien, en première année de licence qui, sans le savoir, m’a inspirée à faire un doctorat. Je l’admirais. Et quand j’ai su qu’elle avait un doctorat, je me suis dit “moi aussi, j’en aurai un !”
Femme et Française, atout ou handicap ?
Au contraire, être française est un atout aux USA car on adore votre petit accent ! Être une femme n’a pas été un handicap pour moi, ce mot est trop dur je pense. J’ai vécu quelques rares expériences sexistes (inacceptables, qu’on s’entende), rien à voir avec les mauvaises expériences que certaines de mes amies ont vécues par exemple. Me concernant, je dirais plutôt que ça été parfois difficile, car j’ai souvent eu l’impression d’être la seule femme dans mon milieu, scolaire puis professionnel. J’ai, comme tout le monde, les syndromes de l’imposteur et de la bonne élève. Je me bats contre ces syndromes et les hommes ont été des alliés importants. Je suis une grande introvertie, ce que les gens ont du mal à croire car je ne suis absolument pas timide, mais l’introversion et la timidité ne sont pas liées. L’humour a été mon arme pour casser la glace : entrer dans un groupe et mettre à l’aise les hommes avec qui j’ai travaillé, ça a toujours super bien fonctionné !
Qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui ?
Chaque matin, naïvement peut-être, je me dis que j’ai de l’influence et que je peux changer les choses. De l’influence à travers les algorithmes que je développe, les articles que j’écris ou les cours d’enseignement et conférences que je donne. Je développe des algorithmes en ayant conscience de les rendre inclusifs. J’écris des articles pour expliquer aux gens des concepts techniques compliqués et leur ouvrir l’esprit. J’enseigne et je parle en transmettant des messages importants sur le développement algorithmique, l’éthique ou encore la responsabilité de chacun. Je crois à la méthode des petits pas. Si on fait tous un petit pas, on fera des bonds de géant tous ensemble… J’essaie de l’appliquer chaque jour, à la hauteur de mes moyens.
Au moment où se pose la question de l’avenir de l’espèce humaine, notamment la problématique environnementale, peut-on trouver dans les avancées scientifiques des solutions et des espoirs?
Il faut croire dans les sciences! Sans aller vers un solutionnisme numérique systématique, je crois que l’intelligence artificielle (IA) peut contribuer à sauver la planète. Par des outils innovants, on pourra suivre notre consommation énergétique en temps quasi-réel, ainsi que celle d’entreprises et d’états ; On pourra développer des systèmes innovants pour consommer moins et mieux ; on pourra même développer des moyens de traçage intelligents pour protéger les espèces du braconnage par exemple. On peut faire de belles et grandes choses ! Il faut sortir de cet état de défiance et de méfiance envers les scientifiques et la science en général. Au contraire, il faut collaborer avec eux pour construire le monde de demain. J’aime dire qu’il faut une IA par tous et pour tous.
Y a-t-il un avenir pour les adultes de demain en dehors du monde tech et digital ? Autrement dit, faudra-t-il impérativement maîtriser le codage informatique et la techno pour réussir dans 5-10 ans ? ou à l’inverse, a minima, ne pas être exclu ?
C’est plus compliqué que cela. Je défends l’idée que nous allons tous devoir être acculturés aux technologies, à la hauteur de nos moyens, bien évidemment. Sans devenir développeur ou scientifique, être exposé au code informatique et à l’algorithmique dans son parcours scolaire est un moyen ingénieux pour nous ouvrir à de nouvelles perspectives, comprendre le fonctionnement, même basique, d’outils, et pour comprendre nos droits et nos devoirs dans cette nouvelle société fortement digitale. Comprendre les technologies, c’est également comprendre nos différenciateurs avec la machine: notre intelligence émotionnelle, notre intelligence de situation voire de nombreux aspects de notre intelligence analytique!
Une idée de ce que pourrait faire la France pour rattraper le retard qu’elle a sur les US en la matière ? Et motiver les jeunes femmes à suivre des cursus scientifiques ?
Aux US, on s’est mis à communiquer sur ce qu’on peut faire avec l’IA et pas seulement sur l’IA stricto sensu, ça a déclenché plus d’intérêt chez les jeunes filles dans les disciplines scientifiques et entraîné une augmentation du nombre de filles en sciences informatiques à l’université. Pour des raisons que j’ignore, les filles ont l’air plus sensibles que les garçons à vouloir agir sur le monde et changer les choses. L’IA est un moyen pour faire cela, et elles le savent! En France on commence aussi à le faire, j’y crois et je m’engage personnellement à parler et à écrire sur ce qu’on fait et peut faire avec l’IA. Beaucoup de gens s’engagent en France, j’ai beaucoup d’admiration pour des femmes comme Dipty Chander, Claude Terosier ou Amélia Matar qui veulent faire connaître le code informatique auprès du plus grand nombre! J’admire aussi les actions concrètes des associations comme Les Digital Ladies & Allies qui agissent pour inciter les filles à aller vers le digital et l’IA!
Un conseil pour les petites filles, les jeunes femmes qui aimeraient mais qui n’osent pas ?
Qu’elles expriment ce doute auprès d’un garçon ou d’un homme en sciences dans leur entourage : ils effaceront ce doute très rapidement, croyez-moi!