Catherine Amin-Garde : « Il faut que tu aies un métier, ma fille »

Déc 18, 2018 | Billets & Humeurs | 0 commentaires

Élevée avec l’idée qu’une femme doit avoir un métier pour être indépendante, histoire familiale oblige, Catherine Amin-Garde est de celles que la question de l’égalité homme-femme a touchée dès le plus jeune âge. Et donc de celles qui ne lâchent rien, qui résistent. Parce qu’elle considère que le milieu professionnel, à l’inverse de la cellule familiale, n’a pas beaucoup avancé en 20 ans.

Vous êtes présidente du Conseil d’orientation et de surveillance (COS) de la Caisse d’Epargne Loire Drôme Ardèche depuis 17 ans, peut-on considérer Catherine Amin-Garde aux avant-gardes ?

Etre élue à ce poste, ce n’était pas commun mais le terme « avant-gardiste » suggère que cette élection préfigurait un changement de mentalités, une évolution de la société vers davantage de parité hommes‑femmes ; or il n’en est rien. Les choses n’ont pas beaucoup changé depuis. On était 3 femmes présidentes et on est toujours 3 femmes présidentes ! On était déjà dans une énième tentative de féminisation des conseils et – c’est ce qui m’afflige le plus – c’est toujours le cas.

Pourquoi n’avance-ton pas ?

Je pense que les choses avancent en général sur l’égalité hommes femmes, en particulier dans le couple, dans l’organisation familiale et dans la prise en charge des enfants. C’est devenu politiquement incorrect de dire « je ne m’occupe pas des enfants ». Le politiquement correct a changé de camps. Ça, ça a avancé et c’est très important de ne pas l’oublier. Dans l’organisation d’une carrière c’est une base importante. Souvenez-vous du flop d’un ancien ministre à l’évocation de la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle et de son « Mais qui va garder les enfants ? ». Quinze ans plus tôt, ç’aurait pu paraître drôle … Aujourd’hui, ça ne l’est plus du tout. Dans le milieu professionnel, c’est autre chose. A un certain niveau, le monde du travail – celui des postes à responsabilité en tout cas – est quasi-exclusivement masculin, comme si l’espèce, se sentant menacée, refusait de faire tomber les barrières ; elle l’est d’ailleurs, mathématiquement, en nombre, elle l’est.

Vous jouez les provocatrices, là…

On n’a jamais autant entendu parler d’égalité hommes-femmes dans la vie professionnelle. Il y a la loi Copé Zimmermann même si elle est laborieusement respectée. Il y a la loi Avenir Professionnel, votée cet été, laquelle inclut un volet « égalité salariale ». On sent que la société a conscience des enjeux de mixité. Sous le poids de la société, par conviction ou par mode, le temps d’une discussion de salon, chacun se dit « c’est vrai, ce n’est pas normal ». Paradoxalement, et certainement parce que le sujet est sous les feux de la rampe, on sent comme une résistance. J’ai entendu récemment, dans une instance que je ne citerai pas, « Ah mais oui, c’est vrai, il y a le problème des bonnes femmes ». Donc nous sommes redevenues des bonnes femmes. Et pire, nous sommes un problème. Cette petite musique un peu protectionniste, on l’entend souvent…

Pensez-vous qu’on puisse faire quelque chose ?

Mon rôle de présidente de COS – et bien sûr celui des présidentes de Directoire – c’est d’être visible pour les femmes. Pour toutes les femmes. Dans mon conseil par exemple, mon devoir est de veiller en permanence à ce qu’il y ait des femmes. Dans les recrutements au plus haut niveau, pour les directoires, il faut agir pour que cette mixité, diversité, égalité, ne soit pas seulement un coup de peinture sur les murs. Il n’y a pas de femmes dans les viviers ? On va mandater un cabinet de recrutement. Le cabinet de recrutement ne trouve pas de femmes ? On va en changer … Il ne faut rien lâcher. Jamais. Parce qu’en insistant, on en trouve toujours. En fait je suis une ouvreuse de portes !

Nous avons parlé de la loi Copé-Zimmermann, de la loi Avenir et se son volet sur l’égalité salariale, pensez-vous que légiférer est indispensable pour avancer ?

J’ai pensé le plus grand mal de Copé Zimmermann lorsqu’elle a été votée, trouvant restrictive et presque humiliante la notion de quotas. Mais je dois dire que les choses n’auraient pas progressé sans cette loi, assez basique, donc difficile à ne pas respecter. Lorsque les textes réglementaires sont subtils, on trouve toujours le moyen de les détourner. C’est en partie le cas actuellement sur l’égalité salariale. Plus globalement, les lois sous-tendent une sorte de bras de fer qui empêche de parler du vrai sujet qui est celui de d’égalité complète entre les hommes et les femmes. J’ai rencontré des femmes courageuses et des hommes courageux. Des femmes lâches et des hommes lâches. Il n’y a pas qualité masculine et féminine. Rien de tout ça n’est sexué. Les comportements sont différents mais c’est seulement le résultat de siècles d’éducation, le poids de « l’habitus » version Bourdieu.

Et comme on le fait dire à Margaux dans la pub des Caisses d’épargne (que j’adore) « une femme entrepreneure est un entrepreneur comme les autres » et bien une femme dirigeante est un dirigeant comme les autres !